Le mot « spiritualité » apparaît parfois dans les articles qui traitent de la méditation pleine conscience, pouvant faire dire par exemple qu’il s’agit d’une spiritualité laïque. Il me semble que cette affirmation mérite d’être explorée, notamment en regard de ce que nous expérimentons dans cette pratique.
Tout d’abord, il faudrait s’entendre sur la signification du mot « spiritualité » pour poursuivre la réflexion. Pour résumer, et pour ne pas introduire la notion d’ « âme » qui nous ferait partir dans d’autres débats encore plus vastes, on pourrait retenir que le terme de « spiritualité » évoque ce qui serait du domaine de l’esprit et qui se dégagerait de toute matérialité. Dans le petit Robert 1, on trouve comme définition de la spiritualité: « Caractère de ce qui est spirituel, indépendant de la matière »…
Et c’est à partir de là qu’apparaissent d’emblée les difficultés pour parler de spiritualité quand on parle de la méditation pleine conscience : comment parler d’une pratique spirituelle alors que nous y cultivons de façon particulière et intéressée une présence à nos expériences corporelles. Et oui, si vous n’avez jamais pratiqué cette forme de méditation, il s’agit d’une pratique très « physique ».
En effet dans cette pratique, et notamment dans les programmes basés sur la méditation pleine conscience (les protocoles MBSR et MBCT) qui ont montré leurs bienfaits sur la souffrance physique, psychique ou émotionnelle dans de très nombreuses études scientifiques, nous entraînons et développons une attention particulière aux sensations de la respiration, et plus largement à toutes les sensations corporelles. Et quand bien même nous tournons notre attention vers les sons, nous sommes attentifs à des ondes acoustiques qui parviennent jusqu’à nos oreilles, grâce à un déplacement de matière fluide (l’air) qui vient percuter notre tympan. Encore de la matière, qui rencontre de la matière.
Et c’est d’ailleurs cet ancrage dans la matière du corps notamment, qui permet de prendre un recul avec nos pensées, nos opinions, nos ruminations, nos anticipations, etc. Les personnes qui ont des problématiques de douleur chronique et qui pratiquent la méditation pleine conscience font l’expérience d’une diminution de leur souffrance plutôt par un allègement des composantes cognitives et émotionnelles, et d’un réancrage réel dans la sensation physique, dénudée, primitive, viscérale, plutôt que par une expérience « spirituelle » particulière… Il s’agit donc plutôt d’un mouvement vers la matière, plutôt que vers l’esprit.
Et si au final cette pratique qui nous relie plus vivement à nos expériences corporelles, viscérales (de la matière), et qui nous éloigne sagement de l’emprise de nos préjugés, de nos opinions (de l’esprit), ne nous rendait pas plus « spirituels », mais simplement plus humains par une sagesse plus « viscérale », plus « incorporée », plus « incarnée »?
Le corps est notre maison d’être humain, et il est d’une grande sagesse. Si nous l’écoutions plus souvent, nous noterions qu’il nous informe souvent sur nos limites physiques, psychologiques, émotionnelles (nous entraîner à ressentir le début de la satiété, le début de la fatigue, de douleurs lombaires, de la tristesse, de la colère, du burn-out….). Nous sommes sous-connectés à nos corps, et nous en payons le tribut: obésité, lumbago, cervicalgies et douleurs chroniques, etc.
Revenir au corps, le re-sentir, est le premier mouvement fondamental de la méditation pleine conscience: c’est revenir à la « matière », au « physique », par lequel nous sommes arrivés et nés dans ce monde, et qui est indispensable à notre expérience humaine. C’est très concret. C’est une sorte de retour à la terre, quand l’esprit lui, nous amène dans les airs (quand nous sommes perdus dans nos pensées, on nous dit d’ailleurs qu’on était « tête en l’air », ou encore qu’on était « dans la lune »). Le retour vers le corps, est un mouvement vers le bas, vers le « plancher des vaches », un retour sur la terre, à la terre, dans la terre.
Revenir au corps est une sorte d’écologie interne. Car porter attention au corps contribue à soigner le corps. Sentir (non pas penser), que l’on respire, là maintenant par exemple, en ressentant le thorax ou l’abdomen qui se gonflent avec l’inspiration et se dégonflent avec l’expiration, crée toute une de rééquilibration biologique interne, de régulation hormonale et inflammatoire, favorable à la santé du corps, surtout si nous le pratiquons plusieurs minutes par jour. De nombreuses études scientifiques le prouvent, qui sont notamment régulièrement relayées sur ce site internet.
Pour toutes ces raisons, il me semble donc qu’il faut être très prudent quand on parle de la méditation pleine conscience comme d’une spiritiualité ou d’une pratique spirituelle, car cela pourrait faire oublier ce premier mouvement fondamental de retour au corps, à la matière, qui constitue la base de cette pratique. Sans compter, comme le disait Jon Kabat-Zinn, le fondateur du programme de Réduction du Stress basée sur la Pleine Conscience (MBSR), que « le vocabulaire même de la « spiritualité » crée plus de problèmes pratiques qu’il n’en résout. » (extrait de son livre intitulé « Où tu vas, tu es »).
Illustration « Le plancher des vaches » (auteur inconnu), pour faire référence à ce retour vers le bas, vers la terre. Et en clin d’œil à mes amis indiens, pour qui les vaches sont sacrées…