La méditation pleine conscience et le yoga seront-ils un jour remboursés par la Sécurité Sociale dans le cadre de la prise en charge de la lombalgie chronique? Cette question qui aurait pu apparaître saugrenue il y a quelques années, est maintenant d’actualité aux vues des preuves scientifiques de l’efficacité de ces techniques dans la prise en charge des douleurs chroniques lombaires.
En France, les lombalgies représentent un enjeu de santé publique important du fait de l’altération de la qualité de vie qu’elles entraînent pour une population nombreuse et des risques de désinsertion sociale et professionnelle associés à la chronicisation. Une lombalgie sur cinq entraîne un arrêt de travail, et cette pathologie est actuellement la troisième cause d’invalidité pour le régime général. Les arrêts de plus de six mois en maladie pour pathologies ostéo-articulaires (principalement dorsalgies et hernies discales) représentent près de 30 % du nombre total d’arrêts de plus de six mois et connaissent une progression rapide. Les lombalgies représentent aussi un enjeu économique: les dépenses associées, coûts directs (traitements, visites médicales, hospitalisations) mais aussi indirects (indemnités journalières, pensions d’invalidité, perte de productivité, etc.), sont élevées dans tous les pays industrialisés, et évalué récemment à près d’un milliard d’euros par an en France.
Aux Etats-Unis, l’ « Institut pour l’Evaluation Clinique et Economique » (ICER) a récemment publié un rapport intitulé « Thérapies cognitives et psycho-corporelles pour la lombalgie chronique et la douleur cervicale: efficacité et coût », dont les résultats ont été rapportés dans la célèbre et très sérieuse revue de la société américaine de médecine « JAMA » (Journal of the American Medical Association) le 5 mars 2018.
Dans ce rapport, l’ICER y évalue les preuves médicales, le rapport coût-efficacité de ces interventions, et conseille et aide les pouvoirs publics et les acteurs de santé à interpréter et à appliquer leurs constatations pour améliorer la prise en charge des patients et contrôler les coûts sanitaires.
Contexte
L’ICER s’est concentré dans son étude sur les douleurs chroniques du dos (ou « lombalgie chronique ») et du cou (ou « cervicalgie chronique »), car elles sont fréquentes, invalidantes pour les patients, et coûteuses pour la société (médicaments, arrêts de travail, etc.). Des alternatives plus sûres et au moins aussi efficaces que les traitements médicamenteux (les opioïdes c’est-dire les dérivés morphiniques, les anti-inflammatoires par exemple) sont donc nécessaires.
L’ICER a évalué les thérapies cognitives et les interventions «corps-esprit» (acupuncture, thérapie cognitivo-comportementale (TCC), réduction du stress basée sur la pleine conscience ou MBSR, yoga et tai-chi) en raison des preuves croissantes que le corps et l’esprit jouent un rôle important dans la douleur chronique.
En utilisant l’approche de l’Agence (américaine) pour la Recherche et la Qualité en Santé (AHRQ), l’ICER a analysé les données de 28 essais cliniques randomisés pour la lombalgie chronique et 17 pour la cervicalgie chronique. Les groupes contrôles dans ces essais étaient des soins habituels, des thérapies simulées ou d’autres thérapies actives. Les analyses de coûts de l’ICER étaient basées sur des schémas de traitement typique: TCC et MBSR étaient constituées de 8 séances hebdomadaires de 2 heures; le yoga comportait 12 séances hebdomadaires de 75 minutes; le tai-chi 18 séances de 40 minutes réparties sur dix semaines; et l’acupuncture a eu dix séances de 20 minutes pendant 10 semaines. À l’exception de l’acupuncture, ces traitements été dispensés en groupe.
Résumé des conclusions du rapport de l’ICER
Pour les lombalgiques chroniques, toutes les interventions, à l’exception du tai-chi, montraient une preuve modérée de faibles effets bénéfiques pour la santé (diminution de la douleur et amélioration de la mobilité) lorsqu’ils étaient ajoutés aux soins habituels, comparé aux soins habituels seuls. Par exemple, un essai comparait la TCC et le MBSR aux soins habituels pour la lombalgie chronique. Après 6 mois, 60% des patients du groupe MBSR ont présenté des améliorations cliniquement significatives (amélioration de 30% par rapport aux valeurs initiales), 58% dans le groupe TCC et 44% recevant des soins habituels. L’ICER a conclu que ces interventions avaient des avantages pour la santé «comparables» à «notables» par rapport aux soins habituels.
Le nombre d’essais dans la cervicalgie chronique était insuffisant pour évaluer l’efficacité.
À l’aide de la modélisation économique, l’ICER a estimé le coût différentiel par année de vie pondérée par la qualité de vie (QALY) pour chacun des 5 traitements pour les lombalgiques chroniques. Un QALY est égal à 1 an de vie en parfaite santé. Les coûts par QALY allaient de 3929 $ (pour le yoga) à 93799 $ (pour la TCC) pour une durée de 5 ans. Plus de 90% des 14 membres du panel d’experts de l’ICER ont estimé que l’optimisation à long terme de l’acupuncture et de la TCC par rapport aux soins habituels était considérée comme intermédiaire ou élevée. Parce que le MBSR et le yoga étaient moins coûteux de 50000 $ par QALY, ils ont été automatiquement considérés comme des interventions de grande valeur. La valeur du Tai Chi n’a pas été évaluée en raison de preuves insuffisantes.
Pour donner un ordre idée, l’IREC a calculé le coût d’un plan d’assurance santé qui viserait à couvrir un million de personnes souffrant de lombalgies afin de financer la participation à un programme MBSR. Dans le cas où 50% des personnes seraient intéressés pour suivre ce programme, l’IREC a évalué le coût supplémentaire à 0,75$ par personne et par mois. Pour mettre en perspective ce coût, ils ont estimé à environ 4,46 $ par personne et par mois les coûts relatifs aux médicaments pour le traitement de la douleur.
L’ICER a également noté des avantages potentiels non mesurés, y compris la réduction du fardeau des soignants, l’augmentation de la productivité au travail ou la réduction de l’utilisation des opioïdes et autres antalgiques (qui ont des risques d’effets indésirables).
Limites
Les analyses économiques de l’ICER reposaient sur des hypothèses susceptibles d’affecter de manière significative les résultats. Une préoccupation particulière était que le modèle de l’ICER estimait les coûts totaux par TCCà 1696 $ par personne, en supposant 16 heures de traitement à un coût horaire de 106 $ pour chaque TCC. Bien que la TCC individuelle soit plus fréquente que la TCC de groupe, les essais ayant conclu que la TCC était efficace étaient basés sur 12 à 16 heures de séances de groupe. Le seul essai rapportant le coût total par personne pour la TCC du groupe l’a estimé à 150 $ lorsqu’il était offert dans un plan de santé. Même si le seul essai comparant directement la TCC et le MBSR a révélé des coûts d’intervention et d’efficacité similaires, en se fondant sur le coût de la TCC pour la thérapie individuelle, on obtient des estimations beaucoup plus élevées du coût gagné par QALY pour la TCC que pour le MBSR (93799 $ et 19975 $, respectivement).
Cette revue n’a pas permis de mieux connaître les conséquences des TCC et des interventions « corps-esprit », dont le MBSR et le yoga, sur l’utilisation des opioïdes et autre antalgiques par les patients. Des essais supplémentaires de traitements non pharmacologiques de la cervicalgie chronique, et du tai-chi pour le lombalgie chronique sont nécessaires. Pour être plus utiles, ces essais doivent être pragmatiques, mesurer les effets sur la consommation d’opiacés, évaluer les résultats pendant au moins trois ans et mesurer les résultats en termes de pourcentage de patients obtenant une amélioration cliniquement significative.
Conclusion
Le rapport de l’ »Institut américain pour l’Evaluation Clinique et Economique » franchit une nouvelle étape importante en mettant l’accent sur les thérapies « corps-esprit » dans la prise en charge des lombalgies chroniques, et positionne le MBSR et le yoga comme « des interventions de grande valeur ».
Bibliographie:
Lien vers le rapport de l’ICER: https://icer-review.org/announcements/chronic-pain-evidence-report/
Lien vers l’article du JAMA: https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/article-abstract/2673371?redirect=true
Rapport au ministre chargé de la Sécurité sociale et au Parlement sur l’évolution des charges et des produits de l’Assurance Maladie au titre de 2017 (loi du 13 août 2004): http://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/cnamts_rapport_charges_produits_2017.pdf